Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’est pas tiré à quatre épingles. On le croirait tout juste débarqué du bout du monde. Il s’excuse en bafouillant et m’explique qu’il déménage…
Qu’importe son look, je suis venue pour le génie de son travail. Fascinant. Ses photos que je vois régulièrement dans sa galerie ou dans les foires d’art contemporain et qui m’habitent ensuite pendant plusieurs jours. Certaines réussissent carrément à me transporter dans les pays dans lesquels il a travaillé : Soudan, Ethiopie, Burkina Faso, Mali… Il prépare en ce moment sur un voyage en Papouasie Nouvelle Guinée. Le pays lui importe peu finalement, il atterrit là où sa bonne étoile l’envoie, au gré d’occasions ou de recommandations. Ce qui lui importe c’est la rencontre et le visage de ceux qu’il va « shooter » dans son studio éphémère, simplissime tente de plastique blanc installée en pleine brousse, et l’œuvre qui va en découler.
Rencontre avec un photographe pas comme les autres.
Qu’est ce qu’un voyage selon vous ?
Un voyage, c’est d’abord du travail, mais c’est aussi le moment où je me sens en vacances, car je suis en état d’ouverture totale sur le monde. Je peux avoir des rapports avec des gens dans des conditions très particulières.
Comment travaillez-vous? Comment choisissez vous vos sujets ?
Mes photos de portrait sont des créations. Je passe du temps dans le pays choisi, mais aussi à mon retour à Paris.
Sur place, je m’installe et je monte mon studio. Je crée une sorte d’événement. Une situation qui soit propice à la discussion et à la photo de rencontre. Ensuite, j’installe mon sujet et moi je sors prendre la photo de l’extérieur pour capter l’innocence la personnalité de mon sujet. Je veux que ma photo lise ce visage.
Attention, cette photo n’est pas bonne à tous les coups. Il arrive que certains exercent une forme de protection, même isolés et face à eux mêmes dans mon studio. Ce que je constate, c’est que plus je vais loin, dans des villages reculés, plus la photo est réussie. Le visage des gens est modifié par le tourisme dévorant. Tout mon travail, c’est cette rencontre et le visage que vont m’offrir ces hommes, ces femmes et ces enfants.
Je traduis ensuite ce visage en œuvre d’art.
Comment cerner au mieux la personnalité de vos sujets ?
Pour la comprendre, j’ai choisi de m’effacer en tant que photographe. C’est à dire que mon sujet entre dans mon studio éphémère, et moi je suis à l’extérieur. Conséquence : la personne n’est plus dans une réaction au photographe. Elle est dans sa bulle. Ce qu’il offre n’est pas entâché par les événements ou les regards extérieurs. Il y a une forme de plénitude que je cherche à capter.
Y a-t-il une complicité entre vos sujets et vous ?
Pour mes sujets, je procède par élimination. Je prends entre 10 et 20 clichés de chaque personne. Et je shoote environ 100 personnes pendant mon séjour.
Au retour, j’en montre 10 à la galerie et nous n’en tirons que 5.
Je ne crois pas établir une quelconque complicité. On est au-delà . Il suffit d’une respiration, d’un regard, pour que la photo soit extraordinaire. On est dans quelque chose de très informel finalement.
Un voyage, est ce toujours une échappée belle, ou parfois une échappée triste ?
J’ai forcément des déconvenues comme au Maroc récemment où nous n’avons pas pu nous installer là où nous l’avions envisagé. Mais globalement, c’est toujours une échappée belle parce que j’oublie tout, je partage tout. L’harmonie est totale.
Vos voyages s’inscrivent ils forcément dans le temps ?
Je pars au minimum 3 semaines pour avoir le temps. Mais les conditions sont souvent difficiles, la chaleur, le fait que nous mettions un point d’honneur à dormir un peu n’importe où et pas à l’hôtel… donc je ne m’éternise pas non plus. Certaines fois, comme mon prochain voyage en Papouasie, ce sont les conditions économiques qui m’obligent à ne pas rester trop longtemps.
Ensuite, une grande partie de mon travail s’effectue à mon retour. Je travaille au minimum 2 jours sur chaque photo sur photoshop. J’enlève les « défauts temporaires » qui font que vu la taille et la qualité de mes photos, on ne verrait plus que cela. Je rajoute un peu de lumière et supprime ce qui viendrait gêner le regard. J’arrive enfin à ce que j’appelle une œuvre.
Y-a-t-il un objet qui soit, selon vous, une invitation au voyage ?
Les cartes de voyage. Mon meilleur compagnon de route.